Le voyage à Bayreuth d’Alexandre, notre boursier.

Voici le récit du voyage que j’ai eu le privilège d’accomplir à Bayreuth au cours de l’été. Je profite de celui-ci pour remercier, une nouvelle fois, toutes les têtes pensantes du Cercle Richard Wagner de Toulouse Midi-Pyrénées qui m’ont fait l’honneur et le plaisir de me choisir en tant que boursier – un petit salut spécial à M. Christian Lalaurie, qui a permis à mon père et à l’un de ses amis de découvrir cette année les joies du Festpielhaus avec moi, grâce vous soit rendue à tous.Au programme, donc, cinq jours de périple en pays franconien, puisque c’est là la qualification que préfèrent les habitants de cette région, située, pour mémoire, à l’Est de l’Allemagne, près de la frontière polonaise. Lundi 14 août, dans l’après-midi : arrivée par voie aérienne puis automobile. Destination : l’internat pour jeunes travailleurs qui allait me fournir un logement durant la semaine, internat situé légèrement à la périphérie du centre de Bayreuth, dans le quartier universitaire, où j’ai immédiatement retrouvé les quelques 200 boursiers de ma condition ayant choisi un mode d’hébergement analogue. Parmi ces jeunes gens une très grande majorité de germanophones, au moins les trois quarts d’entre eux – quatre français recensés au total… -, et très essentiellement des musiciens en herbe, pianistes, chanteurs, apprentis metteurs en scène etc. Première prise de contact dans la soirée à l’occasion d’un repas commun, à base de spécialités franconiennes, avec bière à volonté comme il se doit… et première surprise devant l’incroyable aménité de mes homologues germaniques : l’Allemand, de toute évidence, est porté vers le grégarisme, et considère la solitude comme un penchant assez peu naturel. Il s’ensuit un questionnaire méticuleux, adressé à tous les nouveaux venus : Comment t’appelles-tu ? D’où viens-tu ? Que fais-tu dans la vie ?… C’est bien agréable, et le séjour se trouve ainsi lancé dans une ambiance très positive.

Le lendemain matin, début des véritables hostilités avec une réception à la « Walhall Lounge », située tout à fait en haut de la colline sacrée, et où fleurissent de petites statues colorées représentant Wagner ou quelquefois les gros chiens Terre-Neuve qu’il affectionnait particulièrement. Là encore bière à volonté dès 10 h du matin, donc méfiance de rigueur si l’on veut rester opérationnel ; puis mot de bienvenue très sympathique de Katharina Wagner, arrière-petite fille du maître et codirectrice du festival. Dans la foulée, premier grand moment de la semaine : la visite détaillée du Festpielhaus, de la cave au grenier pourrait-on dire, la salle, les coulisses et bien entendu la fosse d’orchestre, « abîme mystique » situé aux frontières du monde sensible… Une salle en amphithéâtre, finalement de dimensions relativement modestes – rien d’écrasant pour le nouveau venu, mais en revanche beaucoup de surprise, pour ma part, face à la profondeur de cette scène, qui s’étend vers l’arrière sur 45 mètres… Egalement, beaucoup de recueillement face à cette fosse cachée à la vue du spectateur, qui plonge loin en dessous de la scène, et où les rangs des instrumentistes sont étagés de manière assez raide – évitez le pas de travers, faute de quoi une chute des plus douloureuses vous récompensera de vos témérités. Deux curiosités amusantes à noter : la chaise du directeur d’orchestre, conservée en l’état depuis le premier Ring d’Hans Richter, où seul le chef est autorisé à s’asseoir ; et puis le téléphone, préhistorique, dont se servaient les chefs des années 1900 pour communiquer avec la salle, et qui a été également conservé, même si on ne pousse pas le vice jusqu’à s’en servir encore…

A 16 heures, en ce même 15 aout, première des trois représentations qui m’ont été proposées durant la semaine : Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, dirigé par Philippe Jordan et mis en scène par Barrie Kosky. Une production dynamique et colorée, transposée au XIXe puis au XXe siècle, qui prend pour cadre tantôt la Villa Wahnfried, demeure de Wagner à Bayreuth, tantôt le tribunal international réuni à Nuremberg en 1945. Le parti-pris adopté est le suivant : Wagner a mis beaucoup de lui-même dans son ouvrage, il a créé des personnages qui reflètent les différents aspects de sa personnalité. Il est donc tantôt David, tantôt Walther, tantôt Hans Sachs bien sûr ; dans cette même logique, maître Pogner devient Franz Liszt, Eva prend les traits de Cosima, et Beckmesser incarne la figure du Juif antinational, honni donc par le peuple Allemand et méprisé par Wagner en personne… tout cela peut sans doute se discuter, mais l’efficacité scénique fut au rendez-vous, notamment grâce à un duo Michael Volle (Sachs)/Johannes Kränzle (Beckmesser) très inspiré, sans parler de Philippe Jordan, dont on a retrouvé l’excellence habituelle. Par ailleurs, un constat s’est imposé d’emblée à mes yeux – et à mes oreilles : l’acoustique de Bayreuth n’a pas volé sa réputation ; l’impression qui prédomine, me semble-t-il, est celle de se trouver à l’intérieur d’un disque. Cette salle offre, d’un bout à l’autre, une homogénéité et une pureté de son qui permet de distinguer parfaitement chaque pupitre, ajouté à un aspect monophonique littéralement « assiégeant » – l’auditoire est « cerné » par une musique qui semble omniprésente. Une grande expérience à vivre, de toute évidence. Petite remarque incidente : on parle beaucoup de l’inconfort des strapontins en bois, qui améliorent la réverbération du son et n’ont pas été changés, paraît-il, depuis des temps immémoriaux, mais en réalité la station assise reste tout à fait supportable, et l’on ne se trouve aucunement distrait par ce facteur extra-musical. In fine, grand succès pour cette production Kosky/Jordan, malgré la grêle tambourinant sur le toit du Festspielhaus pendant une partie du deuxième acte ; un succès obtenu entre autres grâce au dernier tableau, qui présentait Sachs/Wagner s’adressant au public depuis une barre de tribunal, puis se retournant vers la scène pour diriger un deuxième orchestre, monté depuis les combles… une splendeur !

Au matin du mercredi 16 août, dépôt d’une gerbe sur la tombe du maitre, à Wanfried ; tombe nue, austère, sans inscription, qui est aussi celle de Cosima, et qui côtoie celle de Russ, le chien de la famille…

Puis retour au Festspielhaus pour une conférence consacrée à Tristan et Isolde et à la production de Katharina Wagner, qui allait être donnée dans l’après-midi. Conférence donnée par un éminent spécialiste local, en allemand. Inutile, donc, de préciser ici que certaines précisions m’ont un peu échappé… Mais une excellente préparation tout de même au spectacle ce qui nous attendait à partir de 16 heures, avec Christian Thielemann à la baguette et une pléiade de chanteurs plus admirables les uns que les autres : Stephen Gould en Tristan, auteur d’une performance véritablement héroïque ; Petra Lang, Isolde magnifique, Christa Mayer en Brangäne, Iain Peterson en Kurwenal, et surtout un sensationnel René Pape dans le rôle du roi Marke. A l’arrivée, un vainqueur incontestable, Christian Thielemann, qui eut droit à une ovation amplement méritée, une « magie » à l’œuvre s’étant fait sentir dès les premières notes du prélude, quelque chose de l’ordre du surnaturel, qui a perduré jusqu’à la fin de la représentation. En guise d’épilogue, un succès public honnête, mais un peu moindre que la veille pour les Maîtres chanteurs. En cause, peut-être, la mise en scène de Katharina Wagner, sur laquelle on ne s’attardera pas trop…

Pour bien finir la journée, dîner en famille au restaurant historique du centre-ville, Die Eule (la chouette), où les dieux du Walhalla se seraient restaurés et où Richard Wagner lui-même avait ses entrées à l’époque. Ambiance très chaleureuse, cuisine simple et de qualité, à recommander…

17 Août : Visite de la ville de Bayreuth et de ses monuments emblématiques : l’opéra des Margraves, un chef d’œuvre du style rococo, malheureusement en travaux jusqu’à l’année prochaine ; la Schlosskirche, l’église du château, avec sa chapelle funéraire où repose la margravine Wilhelmine, qui a fait beaucoup pour le développement de la ville au XVIIIe siècle ; la basilique gothique et sa crypte princière abritant les 26 sarcophages des membres phares de la dynastie Hohenzollern ; l’Ancien château des Margraves, avec ses 65 médaillons sculptés qui ornent les fenêtres du rez-de-chaussée ; le Nouveau Palais, la Fontaine des Margraves et ses sculptures monumentales ; le bâtiment administrative « art nouveau » du Gouvernement de Haute-Franconie, et, au bout de la promenade, le « Saint des Saints », la villa Wahnfried, résidence de la famille Wagner jusqu’en 1966, et devenue depuis musée à la gloire du maître. Ledit musée est actuellement divisé en trois parties : Au centre, la maison de famille à proprement parler où sont rassemblés des objets personnels (livres, vêtements, tableaux, sculptures, arbres généalogiques de la famille…) – avec, au sous-sol, un extraordinaire livre numérique où l’on peut voir défiler la partition wagnérienne de son choix, pendant que la musique correspondante retentit alentour ; à droite, le pavillon consacré à l’œuvre du maître, avec des maquettes du Festspielhaus, des projections d’interviews, les costumes des premières éditions du festival etc. ; sur la gauche, enfin, la maison de Siegfried Wagner, où l’on peut étudier le pan le moins reluisant de l’épopée familiale wagnérienne, à savoir le volet politique, dont on sait qu’il a commencé à faire problème dans les années 1930… au final, une expédition roborative et particulièrement édifiante.

Dans la foulée, deux curiosités que j’ai choisi d’arpenter en solitaire : le musée Jean-Paul, petit édifice rouge consacré à un écrivain local du XVIIIe siècle ; et le musée consacré à Franz Liszt, ami, soutien, beau-père de Wagner, qui est mort à Bayreuth, dans la maison où se trouve désormais le musée. On peut y voir, notamment, le piano sur lequel Wagner a mis au point son Parsifal, ainsi que des extraits de la correspondance du maître avec Liszt lui-même, mais aussi avec Saint-Saëns et plusieurs  grands noms du même ordre, le tout rédigé en français… Le soir venu, réunion avec la délégation locale du cercle Wagner de Toulouse pour un concert donné par les artistes boursiers qui m’accompagnaient durant cette semaine, épaulés par quelques talents confirmés comme le ténor Stefan Vinke, qui a chanté le grand air de Tannhäuser et le duo d’Andrea Chénier avec Sabine Vinke. A retenir en particulier de cette soirée, la performance d’un jeune pianiste espagnol, Raùl Canosa, qui a magnifiquement interprété la mort d’Isolde, et qui pourrait bien être l’un des grands noms de l’avenir.

18 août, dernière journée à Bayreuth : Au matin j’entreprends une petite virée pédestre solitaire jusqu’à l’Ermitage, le « jardin enchanté » de la Margrave Wilhelmine évoquée plus haut. Un lieu apaisant, merveilleux, encadré par de grandes allées dégagées bordées d’arbres hauts, et offrant à la vue des visiteurs plusieurs monuments assez remarquables : l’orangerie de Wilhelmine, d’abord, un petit château de plaisance construit avec une matière hétéroclite apparentée à de la roche colorée ; 43 bustes en marbre, à l’effigie d’empereurs romains, disposés de part et d’autre des ailes latérales ; le char solaire d’Apollon, doré, situé sur la coupole de l’orangerie ; le grand bassin sculpté en contrebas. Deux curiosités notables, également, qui renforcent le pittoresque de l’endroit : un pavillon chinois, situé sur une hauteur environnante, le Schnekenberg (la colline aux escargots), édifié en 1771 ; et les ruines d’une tombe antique, que Wilhelmine avait fait bâtir pour son chien préféré, nommé Folichon. Il semble décidément que les chiens aient toujours bénéficié d’un traitement heureux à Bayreuth…

Retour à l’internat en fin de matinée, puis, vers 15 h, montée à pieds vers la colline sacrée – c’était le moment ou jamais d’accomplir le pèlerinage dans la forme adéquate, jusque-là je m’étais contenté de le faire en bus… -, pour l’ultime opéra de ce séjour, La Walkyrie, mis en scène par Frank Castorf et dirigé par Marek Janowski. Une production installée sur un plateau tournant qui présentait, en alternance, une belle évocation de la cabane de Hunding – un toit de chaume, une cage contenant un couple de dindons, de la paille à foison…-, et une sorte de plateforme pétrolière, construite sur le même décor, où étaient projetées des images renvoyant à la guerre de l’or noir et à la Révolution russe…

Quelques incompréhensions à la clé, mais un spectacle très solide, porté, là encore, par des voix remarquables : Mentions spéciales à Georg Zeppenfeld, qui a composé un Hunding fort impressionnant, vocalement mais aussi scéniquement – une stature austère et inquiétante à souhait ; bravo également à Catherine Foster, infatigable Brunehilde dotée d’une solidité d’airain ; et puis, mon coup de cœur personnel, la Fricka de Tanja Baumgartner, toute de noir vêtue et le fouet à la main, qui ne vous donne pas franchement envie d’aller voir ailleurs ;  mieux vaut rester au garde-à-vous et respecter les clause du contrat de mariage…

Retour à l’internat dans la nuit. Le lendemain matin, à 10 heures précises, départ vers la gare de Bayreuth. Arrivée une demi-heure plus tard, un dernier regard– mélancolique – vers le Festspielhaus, juché dans le lointain, puis embarquement pour Nuremberg, avec un peu de nostalgie au cœur mais une foule de grands souvenirs en tête. Tschüss Bayreuth, et à bientôt, j’espère !

Alexandre Parant,  septembre 2017

 

 

 

 

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