Lohengrin, Opéra de Marseille, 2 mai 2018

  Par les temps qui courent nous sommes en droit d’attendre qu’une maison d’Opéra nous présente des œuvres respectant quelques vérités fondamentales telles que  le respect de la conception que l’artiste a imaginé de sa création, la lisibilité de la narration, l’exécution instrumentale et vocale de niveau, des initiatives sur les plans scéniques et décoratifs qui éclairent l’œuvre de perspectives sous-jacentes mais non dévoilées jusqu’alors.

  La production de Lohengrin de l’Opéra de Marseille satisfait à ces vérités fondamentales. Lohengrin est un opéra où l’obscur et le lumineux, la duplicité et la sincérité,  se confrontent. La conclusion  de l’opéra laisse la victoire de l’un sur l’autre en suspens.

 Les jeux de lumière organisés par Patrick Méeüs pour rendre compte de cette confrontation, ajustent le sombre et le clair en adéquation avec les différentes scènes des Actes, selon des nuances donnant l’impression d’un déplacement de pièces sur un échiquier.  Les noirs s’affrontent aux bruns foncés ou plus clairs, disposés sur des plans différents du devant au fond de la scène (les extraits que l’on peut voir sur opéra.marseille.fr en donne une idée). Rien n’est agressif.

 Tantôt la scène est très sombre, avec des puits de lumière. La fin du premier Acte est éblouissante, le début du deuxième permet juste de distinguer Ortrud et Friedrich d’un côté de la scène et d’entendre jaillir colère, malédiction et vengeance avec une grande netteté tandis qu’Elsa est à mi-hauteur de l’autre côté, dans une demi-lumière soulignant les hésitations qui caractérisent son rôle.

 L’enluminement de l’arrivée de Lohengrin au premier Acte affirme qu’il est un chevalier (et du Graal puisque c’est la résolution de l’énigme). Un bel effet d’ensemble également au moment du In fernem Land.

 La mise en scène de Louis Désiré multiplie les nuances des situations et des psychologies avec tact et profit. Le souhait le plus vif est que l’on nous présente une Elsa vulnérable, fragile mais aussi inflexible. Les deux premiers traits sont illustrés lorsqu’elle trouve refuge et protection au milieu du chœur  des femmes, ou dans les bras paternels d’Heinrich der Vogler, roi de Germanie pourtant d’une grande humanité. Le  dernier trait tient tout entier dans le chant et le jeu d’actrice de Barbara Aleman capable de faire sentir sa détermination de savoir, face à Lohengrin, à qui elle a affaire.

 Placer l’excellent chœur d’hommes – dans un uniforme militaire sans âge, fait de grisaille, bien loin des chevaliers du Georges Duby du Dimanche de Bouvines et renvoyant plutôt à la soldatesque, costumes sous la responsabilité de Diego Mendez Casariego – comme un paravent durant le duel entre Telramund et Lohengrin nous évite d’être témoins des maladresses souvent inhérentes à ce moment. Les chœurs, masculins et féminins, peuple du Brabant, furent d’une construction vocale très bien équilibrée, les déplacements voulus par le metteur en scène donnaient sens aux péripéties du drame présent.

 Au jeu de lumières s’ajoute un jeu de voiles souvent fort bien utilisé, notamment au début du troisième acte où un grand rideau sépare Ortrud et Telramund, placés au-devant de la scène, des noces en train de se célébrer au son de la musique et des chœurs   du mariage. Cet artifice permet à Ortrude d’exprimer par ses mimiques l’hilarité  que produit chez elle cette célébration, sûre de la dévastation que va produire le doute qu’elle a réussi à insinuer dans l’esprit d’Elsa. C’est une scène très forte.

 Une faute de goût, semble-t-il cependant,  du fait de l’absence du cygne à l’arrivée de Lohengrin, et  le metteur en scène met à la place une sorte d’éphèbe  au torse nu déambulant durant tout l’opéra d’un bout à l’autre de la scène.

 Autre image un peu loufoque, celle de la deuxième scène   du dernier Acte, où Lohengrin et Elsa sont dans leur lit de noces tout de blanc,  supposé être bien sûr à l’horizontale mais de fait à la verticale pour une question de visibilité depuis la salle, côte à côte, exprimant leur bonheur mutuel, avant qu’elle, lui ensuite, quitte ce lit pour la grande affaire du dévoilement du nom. La scène est trop cruciale pour que l’on se permette de telles fadaises.

 Le Prélude demande le sublime de la part du chef et de l’orchestre, parce qu’il nous promet un pays inaccessible, le monde du Graal, que seuls des élus peuvent atteindre. Rien de tel n’a pu être ressenti ce soir-là. Mais la direction de Paolo Arrivabeni a été excellente par la suite. Le tempo imposé aux chanteurs et à l’orchestre lors de l’attente de Lohengrin,  au moment du jugement de Dieu, était d’une intensité à couper le souffle. Ce dont l’orchestre manquait en termes de musicalité nous le retrouvions dans l’intensité émotionnelle.

 Mais le début de la troisième scène du deuxième Acte où l’on entend le déploiement des deux chœurs, masculin et féminin (admirablement structurés par le chef de chœur Emmanuel Trenque),  l’éclat des trompettes, disposées de part et d’autre de la scène, dans les loges la surplombant, l’ampleur suave des cuivres , l’ensemble de la scène occupée par un mouvement de foule bien synchronisé, tout cela  ravive l’allégresse musicale.

 La dimension étatique, politique de l’œuvre peut tenir de l’imprévu. Ce fut ici assuré avec surprise par la voix correspondant absolument au rôle du héraut tenu par Adrian Eröd, qui lança les décrets royaux avec une solennité impressionnante faisant contraste avec l’allégresse du même troisième acte.  Bien heureusement car Samuel Youn n’exprimait pas suffisamment l’autorité nécessaire au Roi Henri l’Oiseleur. Il aurait fallu la voix plus puissante et plus épurée à laquelle Samuel Youn nous a habitué.

  Thomas Gazheli, qui avait tenu à tenir sa place bien que souffrant, fut un partenaire idéal  de Petra Lang. C’est elle qui plaçait sa couleur maléfique, sa sonorité pleine de sortilège et lui imposant une résonnance sombre menaçante véritablement crédible. Les deux se fondaient parfaitement dans les ténèbres forgées par le chef des lumières.

 La timidité exprimée par la voix lointaine des trois premières interventions de l’Elsa du premier Acte se transforma, laissa la place à une assurance, une prise en main de la situation traduite par une belle voix sûre, passant du registre aigu au registre grave en suivant parfaitement les besoins de la dramaturgie, expression du talent accompli de Barbara Haveman. De sa part aussi une belle surprise. On se dit de par son interprétation au moment de la demande en mariage de Lohengrin, au premier Acte qu’il peut y avoir un souci politique d’alliance dans son acceptation  de cette demande. Et ce ne fut donc pas une coïncidence que de lire cette remarque de Louis Désiré : « Enfin, lorsque Gottfried réapparait, Elsa semble beaucoup plus émue par le retour de son frère que par le départ de son amant. Elsa voit ici la continuité de son héritage, de sa lignée. Ma vision de l’œuvre n’est donc pas pessimiste. Bien au contraire.»

 Selon les capacités du chanteur il y a un besoin d’ajustement entre la puissance, la hauteur de la voix et ceux de l’orchestre. Il y eut ce juste rapport entre Norbert Ernst et l’orchestre de cette soirée. Non pas un son démesuré mais un éclat suffisant pour nous faire aimer ce Lohengrin.

 Cet ajustement reflète bien ce que fut cette représentation : une remarquable homogénéité sur tous les plans artistiques, décors, costumes, mise en scène, chanteurs, orchestre, chef. Ce qui ne pouvait que conduire à de grands moments, et ils eurent lieu.

 

Michel Olivié

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