Aspects de Brünnhilde

Erda nous apprend dans la première scène du IIIème acte de Siegfried quelle est la raison d’être de Brünnhilde :

« Je fis à Wotan don d’une fille : il lui fit choisir les héros tombés au combat. Elle est hardie, elle est sage. » A côté de cette fonction de psychopompe, Brünnhilde est détentrice des connaissances qui lui ont été dites par les dieux, du « riche trésor des saintes runes » (Crépuscule, prologue). Dans la Walkyrie elle se définit elle-même comme la ‘’volonté de Wotan’’ : « Tu parles à ta volonté, me disant ce que tu veux ; qui suis-je sinon ta volonté ? » et Wotan : « Je me parle en te parlant » Elle est, avec les autres Walkyries, un instrument dont use Wotan pour se protéger des menaces de l’armée d’Alberich, ce dernier œuvrant pour récupérer l’anneau. Les Walkyries sont chargées de remplir le Walhall de héros prêts à résister aux entreprises d’Alberich.  Brünnhilde se présente donc  tout d’abord comme une guerrière, une machine de guerre façonnée par Wotan, une demi-déesse, consciente de ce que représente l’ordre, la loi, ce qui fixe les règles immuables du monde, ce qui est inscrit dans le bois de la lance de Wotan.

  Le cri de guerre, le Hojotoho par lequel Brünnhilde fait son abrupte apparition, doit ravager la scène par la sauvagerie d’une jeune guerrière enthousiaste, prompte à suivre en aveugle les commandements de son père. Rappelé par Fricka à l’obligation de suivre les dictats des runes, Wotan se voit contraint d’entraîner Brünnhilde dans ses propres contradictions. Elle se trouve pour la première fois confrontée aux failles de Wotan. L’assurance monolithique du Walkürenruf a vécu. C’est une toute autre Brünnhilde qui va au-devant de Siegmund. Quelque chose a radicalement changé.

Au  lieu d’une  messagère de mort chargée d’annoncer à Siegmund sa défaite, c’est une toute autre Brünnhilde qui va se révéler, une Brünnhilde prométhéenne. En effet, elle prend l’initiative d’une décision aussi inouïe que celle qui porta Prométhée à dérober le feu à Zeus pour le donner aux hommes. Chez l’un comme chez l’autre est enfreint un interdit absolu :  les décrets que les dieux décident envers les hommes sont irréversibles.

 La scène se concluant par l’exclamation de Brünnhilde « Halt ein, Wälsung ! Höre mein Wort ! Sieglinde lebe – und Siegmund lebe mit ihr !»  « Arrête Wälsung ! Ecoute-moi ! Que Sieglinde vive, — Que Siegmund vive avec elle ! », introduit un immense bouleversement dans la narration :  l’utopie de la liberté. Dans cette décision d’un acte sans plus aucune attache avec ce qui précède, Brünnhilde manifeste le sens même de la liberté, être libre, c’est se décider à partir de sa seule  puissance intellectuelle à penser une situation. Après le :  Que Sieglinde vive ! il y a un bref  silence de l’orchestre, comme tout occupé par l’intense réflexion d’une toute nouvelle Brünnhilde.

  Cette promesse faite à Siegmund est une utopie, le piège dans lequel  Wotan s’est enfermé en enfermant en même temps tous les protagonistes ne peut avoir la moindre chance de réalisation. Il n’en demeure pas moins qu’ici Brünnhilde atteint à la plus haute grandeur. De cela, elle sera punie.

  Elle le sera doublement, en étant déchue de son statut de Walkyrie, mais aussi en faisant l’expérience de l’amour humain qui lui fera vivre une douloureuse humiliation. C’est de ce passage du monde des dieux à celui des humains que devra témoigner son chant. Il nous faut sentir la différence entre le Hojotoho de l’entrée de la Walkyrie et le salut au soleil du III ème acte de Siegfried. Mais ce, n’est pas la même Brünnhilde éveillée dans la  confiance de son premier jour en tant que femme, par son salut au soleil et à la lumière (et ici l’orchestre est particulièrement important, notamment par l’immense mouvement ascendant des harpes que l’on voudrait à l’unisson du Salut),  et la Brünnhilde sacrifiée de la fin de Crépuscule.

  Qu’exprime cette voix de la fin ? Elle est pleine de la souffrance endurée du fait de la trahison de Siegfried. Au passage, on ne peut pas dire que ce fut un couple harmonieux. Comment aurait-il pu l’être puisque Brünnhilde et Siegfried sont les représentants de deux libertés incompatibles ; la première exprime une liberté procurée par la connaissance et l’intelligence et le second exprime une liberté impulsive purement faite de spontanéité et d’innocence (ou de bêtise ? Siegfried avoue à Brünnhilde, dans le prologue du Crépuscule qu’il n’a rien compris au sens des connaissances que Brünnhilde a tenté de lui faire entendre).

Plus loin, Brünnhilde découvre le sentiment de l’apaisement : « Alles, alles , alles weiss ich – alles ward mir nun frei ! » « Tout, tout, tout, je sais tout – tout, tout, m’est libre enfin ! »  Enfin, à partir de « Grane mein Ross », c’est la joie qui l’emporte, jusqu’à la dernière note.

    Ce sont ces différents aspects de Brünnhilde qu’une grande  cantatrice se doit d’exprimer. Ecouter Brünnhilde c’est attendre une voix que notre aventure wagnérienne nous a révélée au fil du temps, telle chanteuse nous bouleversant par, soit un timbre, soit une puissance, soit un phrasé, soit une musicalité, un ‘’soit’‘ à l’infini . Il demeure que le personnage inventé par Wagner nous renvoie à la représentation d’une  jeune demi-déesse osant un geste digne de Prométhée, émue par la force de l’amour humain, punie à devenir une jeune femme à la destinée tragique, peut-être sauvée par une rédemption.

Michel Olivié , 24 septembre 2015

Irène Théorin, à gauche et Nina Stemme, à droite, encadrent , en bas , de gauche à droite , Kirsten Flagstadt, Frida Leider, Gwyneth Jones, et en haut, Birgit Nilsson , Lucienne Bréval, Félia Litvinne,  Astrid Varnay,  

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