Pascale Robert-Diard relate dans un article du Monde du mercredi 20 novembre comment Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur, puis de la Défense de François Mitterrand, appelle Richard Wagner à son secours pour dénoncer l’accusation mensongère dont il estime avoir été victime deux ans auparavant par une jeune normalienne agrégée d’allemand, fille d’un ancien ministre de Nicolas Sarkozy.
Illustration d’Arthur Rackham pour l’Or du Rhin
Alexandra Besson face à Pierre Joxe, l’affrontement de deux pouvoirs à la barre : L’ex.ministre poursuit la jeune femme en diffamation. Elle l’accuse d’ agression sexuelle.
Pierre Joxe est «encore plus indigné qu’il y a deux ans ». Alexandra Besson « persiste et signe». L’un et l’autre sont tendus par l’enjeu, lundi 18 novembre, devant le tribunal de grande instance de Paris, où le premier poursuit la seconde pour «diffamation». Mais dans ce duel de mots qu’est une audience devant la 17e chambre, l’énarque de 84ans, ancien ministre, ancien président de la Cour des comptes, ancien membre du Conseil constitutionnel, devenu avocat, et la jeune écrivaine de 30 ans, diplômée de Normale Sup et agrégée d’allemand, sont à armes égales.
Pierre Joxe s’avance devant le tribunal : «Il y a deux ans, madame Bessona commencé à me diffamer publiquement. Puis elle m’a injurié en me traitant de menteur et de lâche. » Alors que venait d’éclater la tempête soulevée par l’affaire Weinstein, à l’automne 2017, Alexandra Besson avait raconté sur son blog une agression sexuelle dont elle disait avoir été victime, sept ans plus tôt, à l’Opéra Bastille, lors d’une représentation de L’Or du Rhin, de Wagner, de la part de son voisin, un «vieux monsieur» accompagné de son épouse. Elle évoquait d’insistantes et répétées pressions sur ses cuisses et jusqu’à son entrejambe, qui ne se seraient interrompues qu’après qu’elle eut planté ses ongles dans la main baladeuse. Elle décrivait son agresseur comme un «ancien ministre de Mitterrand, membre de plusieurs gouvernements », «figure régalienne», «grande figure de gauche», décoré de «l’ordre national du Mérite» et de «plusieurs autres ordres européens ».
« Présomption de vérité»
Le nom de Pierre Joxe n’était publié qu’un peu plus tard, sous la signature d’une journaliste de L’Express, Elise Karlin, qui avait interrogé la jeune femme. L’ancien ministre s’est prudemment gardé de poursuivre aussi l’hebdomadaire. « Pierre Joxe énumère les incohérences quant aux circonstances objectives » du récit de la jeune femme. Il offre en quelque sorte la preuve par Wagner lui-même. Alexandra Besson avait écrit qu’elle s’était aussitôt confiée à son père, qui l’aurait rejointe à l’entracte». » «Depuis sa création, en 1854, Rheingold est toujours joué sans entracte», rappelle-t-il. Quant à cette autre phrase du blog – «Je n’arrivais pas à me concentrer sur la mort des dieux et les vocalises de la cantatrice» -, Pierre Joxe observe avec la « même autorité que, dans l’opéra de Wagner, ce n’est pas dans L’Or du Rhin mais dans Le Crépuscule des dieux que s’achève le règne de ces derniers. Autant d’éléments, dit-il, «qui me mettent hors de cause ». Il ajoute : «Jamais je ne me suis conduit comme elle le raconte, ni à 20 ans, ni à 40, ni plus tard. Ceux qui me connaissent le savent. »
A la figure régalienne succède la normalienne. Avec la même aisance de mots que son prédécesseur, Alexandra Besson raconte la scène telle qu’elle l’a vécue ce soir-là au rang 15 de l’Opéra, réservé aux personnalités et dont elle bénéficiait grâce à son père,Eric Besson, alors ministre de Nicolas Sarkozy: «Je ne connaissais pas ce vieux monsieur. Dès le début, il a touché ma cuisse. Je pensais qu’il cherchait l’accoudoir, j’ai gentiment repoussé sa main, mais il a recommencé. J’ai demandé à l’officier de sécurité de mon père qui il était, il m’a dit que c’était Pierre Joxe. J’ai vérifie sur Google et je l’ai reconnu. » Si elle admet avoir commis une erreur en évoquant un entracte – son père, dit-elle, était venu l’attendre en voiture à la fin de la représentation -, elle confirme lui avoir fait aussitôt la confidence de l’agression: «Il voulait que je porte plainte. Mais j’étais étudiante à l’ENS, dans un milieu très politisé et mon père était ministre. Puis est arrivé #metoo. Je me sentais solidaire de.ce mouvement et j’ai décidé que ce serait lâcheté de ma part de ne pas raconter ce qui m’était arrivé. Ce n’était pas une accusation, c’était un témoignage.»
La jeune femme sait que, dans cette procédure pour diffamation, elle sera jugée sur sa bonne foi et son absence de volonté de nuire. «Ce que j’ai écrit est l’exacte vérité et monsieur Joxe le sait très bien. J’aurais accepté ses excuses.Qu’il me dise que c’était un moment d’égarement. Au lieu de cela, il m’a insultée et traitée de menteuse.» Elle précise: «Je sais qu’il faut respecter la présomption d’innocence. Mais quand une victime vient témoigner, il doit y avoir une présomption de vérité. Ce qui est stupéfiant, c’est qu’au moment où on parle on se retrouve coupable. Moi, je suis une, petite princesse blanche, j’ai une famille qui me soutient, j’ai un travail, j’étais dans une position qui me donne le pouvoir de parler.» Sa famille est là, d’ailleurs. Sa mère, universitaire et écrivaine, assise à ses côtés sur le banc. Son père, cité comme témoin. qui confirme à la barre l’intégralité du témoignage de sa fille. « Quelle notoriété aurait elle recherchée en racontant avoir été tripotée à 20 ans par un vieux monsieur à l’Opéra? ».
L’un fait rempart de sa carrière et de sa réputation. «Figure de la Ve République, icône de la démocratie», plaide l’avocat de Pierre Joxe, Jean-Yves Dupeux. L’autre dresse l’époque en bouclier « Universitaire agrégée », porte-parole d’un « débat social, d’intérêt général dans la foulée des révélations de l’affaire Weinstein », dit Jean-Marc Fedida, en défense d’Alexandra Besson. Le tribunal s’est donné jusqu’au 22 janvier pour trancher.
PASCALE ROBERT-DIARD