Le lendemain matin, début des véritables hostilités avec une réception à la « Walhall Lounge », située tout à fait en haut de la colline sacrée, et où fleurissent de petites statues colorées représentant Wagner ou quelquefois les gros chiens Terre-Neuve qu’il affectionnait particulièrement. Là encore bière à volonté dès 10 h du matin, donc méfiance de rigueur si l’on veut rester opérationnel ; puis mot de bienvenue très sympathique de Katharina Wagner, arrière-petite fille du maître et codirectrice du festival. Dans la foulée, premier grand moment de la semaine : la visite détaillée du Festpielhaus, de la cave au grenier pourrait-on dire, la salle, les coulisses et bien entendu la fosse d’orchestre, « abîme mystique » situé aux frontières du monde sensible… Une salle en amphithéâtre, finalement de dimensions relativement modestes – rien d’écrasant pour le nouveau venu, mais en revanche beaucoup de surprise, pour ma part, face à la profondeur de cette scène, qui s’étend vers l’arrière sur 45 mètres… Egalement, beaucoup de recueillement face à cette fosse cachée à la vue du spectateur, qui plonge loin en dessous de la scène, et où les rangs des instrumentistes sont étagés de manière assez raide – évitez le pas de travers, faute de quoi une chute des plus douloureuses vous récompensera de vos témérités. Deux curiosités amusantes à noter : la chaise du directeur d’orchestre, conservée en l’état depuis le premier Ring d’Hans Richter, où seul le chef est autorisé à s’asseoir ; et puis le téléphone, préhistorique, dont se servaient les chefs des années 1900 pour communiquer avec la salle, et qui a été également conservé, même si on ne pousse pas le vice jusqu’à s’en servir encore…
Au matin du mercredi 16 août, dépôt d’une gerbe sur la tombe du maitre, à Wanfried ; tombe nue, austère, sans inscription, qui est aussi celle de Cosima, et qui côtoie celle de Russ, le chien de la famille…
Puis retour au Festspielhaus pour une conférence consacrée à Tristan et Isolde et à la production de Katharina Wagner, qui allait être donnée dans l’après-midi. Conférence donnée par un éminent spécialiste local, en allemand. Inutile, donc, de préciser ici que certaines précisions m’ont un peu échappé… Mais une excellente préparation tout de même au spectacle ce qui nous attendait à partir de 16 heures, avec Christian Thielemann à la baguette et une pléiade de chanteurs plus admirables les uns que les autres : Stephen Gould en Tristan, auteur d’une performance véritablement héroïque ; Petra Lang, Isolde magnifique, Christa Mayer en Brangäne, Iain Peterson en Kurwenal, et surtout un sensationnel René Pape dans le rôle du roi Marke. A l’arrivée, un vainqueur incontestable, Christian Thielemann, qui eut droit à une ovation amplement méritée, une « magie » à l’œuvre s’étant fait sentir dès les premières notes du prélude, quelque chose de l’ordre du surnaturel, qui a perduré jusqu’à la fin de la représentation. En guise d’épilogue, un succès public honnête, mais un peu moindre que la veille pour les Maîtres chanteurs. En cause, peut-être, la mise en scène de Katharina Wagner, sur laquelle on ne s’attardera pas trop…
Pour bien finir la journée, dîner en famille au restaurant historique du centre-ville, Die Eule (la chouette), où les dieux du Walhalla se seraient restaurés et où Richard Wagner lui-même avait ses entrées à l’époque. Ambiance très chaleureuse, cuisine simple et de qualité, à recommander…
17 Août : Visite de la ville de Bayreuth et de ses monuments emblématiques : l’opéra des Margraves, un chef d’œuvre du style rococo, malheureusement en travaux jusqu’à l’année prochaine ; la Schlosskirche, l’église du château, avec sa chapelle funéraire où repose la margravine Wilhelmine, qui a fait beaucoup pour le développement de la ville au XVIIIe siècle ; la basilique gothique et sa crypte princière abritant les 26 sarcophages des membres phares de la dynastie Hohenzollern ; l’Ancien château des Margraves, avec ses 65 médaillons sculptés qui ornent les fenêtres du rez-de-chaussée ; le Nouveau Palais, la Fontaine des Margraves et ses sculptures monumentales ; le bâtiment administrative « art nouveau » du Gouvernement de Haute-Franconie, et, au bout de la promenade, le « Saint des Saints », la villa Wahnfried, résidence de la famille Wagner jusqu’en 1966, et devenue depuis musée à la gloire du maître. Ledit musée est actuellement divisé en trois parties : Au centre, la maison de famille à proprement parler où sont rassemblés des objets personnels (livres, vêtements, tableaux, sculptures, arbres généalogiques de la famille…) – avec, au sous-sol, un extraordinaire livre numérique où l’on peut voir défiler la partition wagnérienne de son choix, pendant que la musique correspondante retentit alentour ; à droite, le pavillon consacré à l’œuvre du maître, avec des maquettes du Festspielhaus, des projections d’interviews, les costumes des premières éditions du festival etc. ; sur la gauche, enfin, la maison de Siegfried Wagner, où l’on peut étudier le pan le moins reluisant de l’épopée familiale wagnérienne, à savoir le volet politique, dont on sait qu’il a commencé à faire problème dans les années 1930… au final, une expédition roborative et particulièrement édifiante.
Dans la foulée, deux curiosités que j’ai choisi d’arpenter en solitaire : le musée Jean-Paul, petit édifice rouge consacré à un écrivain local du XVIIIe siècle ; et le musée consacré à Franz Liszt, ami, soutien, beau-père de Wagner, qui est mort à Bayreuth, dans la maison où se trouve désormais le musée. On peut y voir, notamment, le piano sur lequel Wagner a mis au point son Parsifal, ainsi que des extraits de la correspondance du maître avec Liszt lui-même, mais aussi avec Saint-Saëns et plusieurs grands noms du même ordre, le tout rédigé en français… Le soir venu, réunion avec la délégation locale du cercle Wagner de Toulouse pour un concert donné par les artistes boursiers qui m’accompagnaient durant cette semaine, épaulés par quelques talents confirmés comme le ténor Stefan Vinke, qui a chanté le grand air de Tannhäuser et le duo d’Andrea Chénier avec Sabine Vinke. A retenir en particulier de cette soirée, la performance d’un jeune pianiste espagnol, Raùl Canosa, qui a magnifiquement interprété la mort d’Isolde, et qui pourrait bien être l’un des grands noms de l’avenir.
Retour à l’internat en fin de matinée, puis, vers 15 h, montée à pieds vers la colline sacrée – c’était le moment ou jamais d’accomplir le pèlerinage dans la forme adéquate, jusque-là je m’étais contenté de le faire en bus… -, pour l’ultime opéra de ce séjour, La Walkyrie, mis en scène par Frank Castorf et dirigé par Marek Janowski. Une production installée sur un plateau tournant qui présentait, en alternance, une belle évocation de la cabane de Hunding – un toit de chaume, une cage contenant un couple de dindons, de la paille à foison…-, et une sorte de plateforme pétrolière, construite sur le même décor, où étaient projetées des images renvoyant à la guerre de l’or noir et à la Révolution russe…
Retour à l’internat dans la nuit. Le lendemain matin, à 10 heures précises, départ vers la gare de Bayreuth. Arrivée une demi-heure plus tard, un dernier regard– mélancolique – vers le Festspielhaus, juché dans le lointain, puis embarquement pour Nuremberg, avec un peu de nostalgie au cœur mais une foule de grands souvenirs en tête. Tschüss Bayreuth, et à bientôt, j’espère !
Alexandre Parant, septembre 2017