Le Capitole de Toulouse vient de présenter la Gioconda d’Amilcar Ponchielli dans une mise en scène d’Olivier Py avec une très belle distribution .
A cette occasion nous est revenu en mémoire l’article, opéra : des génies et des hommes, de Christian Merlin publié le 4/2/2019, époque à laquelle le Théâtre de la Monnaie proposait cette même mise en scène de la Gioconda Opéra : des génies et des hommes.
Le voici:
Opéra: des génies et des hommes.
«La Gioconda» mise en scène d'Olivier Py, à La Monnaie, à Bruxelles.
© Baus / De Munt La Monnaie
CHRONIQUE – Warlikowski, Castellucci, Tcherniakov et Py: ils sont quatre metteurs en scène, stars de la scène lyrique, à l’affiche actuellement. Une conjonction qui renforce une impression d’essoufflement.
Début de la deuxième partie des Troyens de Berlioz mis en scène par Dmitri Tcherniakov à l’Opéra Bastille: le public parisien hue un décor qu’il juge vulgaire et déplacé. Début de La Gioconda, de Ponchielli, mis en scène par Olivier Py à La Monnaie: un homme nu entre en scène, le public bruxellois applaudit. Il y aurait une étude à faire sur le comportement des différents publics! Olivier Py et son génial scénographe Pierre-André Weitz (on ne rappellera jamais assez combien leur travail est indissociable), se citent beaucoup dans cette Gioconda, qui pourrait apparaître comme un exercice de recyclage un peu paresseux.
Py est bel et bien un homme de spectacle, qui met le spectaculaire au service de l’expression
Pourtant, son génie de l’opéra, que Timothée Picard, dans le livre qu’il consacre au metteur en scène chez Actes Sud, définit comme fondamentalement lyrique, trouve matière à déploiement dans cette œuvre pleine de sang et de larmes. La machinerie des décors impressionne autant par sa force évocatrice que par sa mobilité et sa capacité à accrocher la lumière: Py est bel et bien un homme de spectacle, qui met le spectaculaire au service de l’expression. Violence, érotisme, théâtre: tous les ingrédients sont réunis pour une soirée, certes sans arrière-plan philosophique, mais après tout le mélodrame de Ponchielli ne les appelle pas. Pleine de bruit et de fureur, la direction d’orchestre enflammée de Paolo Carignani va dans le même sens, tout comme la Gioconda exceptionnelle de Béatrice Uria-Monzon, port de reine, incarnation passionnée, voix intense et charnue, tessiture aussi large que longue: magnifique reconversion en soprano de celle qui fut une si belle mezzo. Les autres premiers rôles, que ce soit le ténor Stefano La Colla, le baryton Franco Vassallo ou la mezzo Silvia Tro Santafé, se réfugient malheureusement dans un chant en force qui frôle la caricature, mais qu’à cela ne tienne: ce n’est pas la «Bibliothèque rose».
En l’espace de huit jours, entre le 21 et le 29 janvier, nous aurons donc vu à l’œuvre les quatre metteurs en scène d’opéra qui comptent, chouchous de la scène lyrique contemporaine: Warlikowski, Castellucci, Tcherniakov et Py. L’occasion d’une sorte de bilan d’étape. Pour constater d’abord que ce sont quatre approches et univers singuliers, confirmant que la notion commodément employée de «mise en scène moderne» ne veut pas dire grand-chose: Castellucci est un plasticien qui crée des mondes, Warlikowski un imaginatif en quête d’associations d’idées qui font résonner l’œuvre autrement, Tcherniakov un rigoureux qui démonte le mécanisme des opéras pour mieux le reconstruire, Py un conteur en images qui raconte l’histoire sans la réécrire.
Tuer la poule aux œufs d’or
On reconnaît l’univers esthétique de chacun au premier regard, et leur approche d’un texte n’est foncièrement pas la même, puisque Castellucci part des images, Warlikowski de l’inconscient des personnages, Tcherniakov des rouages de la dramaturgie, du récit. Mais nous avons aussi observé que, à un degré ou à un autre, ils semblaient marquer certains signes d’essoufflement. On ne résoudra pas ici l’éternelle question: jusqu’où un metteur en scène a-t-il un style, à partir de quand se répète-t-il? En revanche, on notera que, dès que le talent d’un metteur en scène sort du lot, il est demandé partout, et se met à enchaîner les productions sans relâche. Comment, dès lors, garder suffisamment de fraîcheur pour se renouveler, s’imprégner d’une œuvre sans donner l’impression d’y appliquer des recettes qui tournent au procédé? C’est la responsabilité des directeurs comme des metteurs en scène, de ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Tout en favorisant l’émergence de nouveaux talents, de nouveaux regards.