Les premières notes de violon du sublime prélude de Lohengrin s’élèvent, sur un écran, un rat rose dessiné et animé apparaît, puis d’autres, blancs, et encore d’autres, puis une rate blanche qui poursuit le premier rat. Nous sommes dans un dessin animé, mais ces rats rappellent la bande dessinée Maus, Un survivant raconte d’Art Spiegelman, récit de la détention à Auschwitz du père de l’auteur et bande dessinée dans laquelle les juifs détenus dans le camp sont des souris et les nazis des chats. Un peu avant le tutti de l’ouverture la scène s’ouvre sur une immense salle glaçante, aseptisée, noire et blanche, au fond de laquelle Klaus Florian Vogt pantalon noir chemise blanche pousse avec peine un grand panneau blanc. A l’apparition du thème de la séparation une porte s’ouvre enfin, dans le panneau, et Vogt la franchit.A l’ouverture du rideau c’est le chœur tout entier qui est déguisé en rats, dans la même salle dénudée et glaçante. Ils trottinent en agitant de longues pattes tremblantes. Des infirmiers poussent au-devant de la scène un misérable arbrisseau planté dans un pot (le chêne symbole de la justice allemande). Le roi Heinrich entre en scène, titubant, l’air halluciné, vêtu d’une redingote noire, un gilet noir en dessous, à même la peau. Une piètre couronne noire ceint un crâne chauve ou rasé dont la courbure dépasse un peu au-dessus d’elle, son trône est une chaise en plastique rouge. Le Hérault, manifestement le surveille de près, et semble être une sorte de psychiatre. Nous devinons que nous sommes dans un asile d’aliénés, dans une sorte de laboratoire. Telramund est lui-même surveillé de près par des infirmiers.
Petits bonds des rats, agitations de leurs pattes roses. Avec grandeur, avec éclat, l’orchestre et le chœur annoncent l’arrivée de Lohengrin. C’est le moment choisi par les rats pour se dépouiller de leurs parures noires qu’ils suspendent à des cintres descendus du plafond et qui y remontent. Cela suscite une grande agitation, attirant toute l’attention, si bien que l’entrée de Lohengrin passe presque inaperçue. La porte au fond de la scène s’est ouverte et Vogt (Lohengrin) est apparu, toujours en pantalon noir et chemise blanche. Il est suivi par des rats portant un cygne empaillé sur la partie inférieure d’un cercueil. La suite, jusqu’à la fin de l’opéra continuera dans le même esprit. Mais on ne peut aller plus loin. L’attention a sans cesse été accaparée par les constantes surprises de la mise en scène et par son esprit malin et mal tourné, si bien que l’écoute de la musique et des chanteurs en est devenue impossible, par l’inadéquation entre ce que l’on voit et ce que l’on entend.
Ce qui vient d’être décrit est bien entendu le Lohengrin de Hans Neuenfels à Bayreuth, en 2012, deux ans après la première avec Kaufmann, telle qu’on peut la voir sur YouTube. Toutes ces intentions du metteur en scène conduisent, par ce méticuleux travail de sape, à faire de Lohengrin un anti-héros, « un simple gars à la recherche de l’amour » avait-il dit. Klaus Florian Vogt est un habitué de ce genre de mise en scène en vogue à Bayreuth. Il a été Walter dans les Meistersinger de Katharina Wagner, Parsifal dans la mise en scène d’Uwe Eric Laufenberg. Toutes obéissent à cette volonté de détruire le héros conçu par Richard Wagner.
Pourtant Klaus Florian Vogt s’est longtemps demandé s’il serait un jour un grand chanteur wagnérien, ce qui est d’autant plus compréhensible puisqu’il reconnaît : « Sans Wagner je ne serais pas devenu chanteur. » et il ne cesse encore de s’interroger sur les variations vocales demandées par le rôle de Parsifal. Il a construit sa voix au travers des mises en scène ‘’Eurotrash’’, indifférent aux rôles et aux tenues de clown qui lui étaient demandés, attentif seulement aux progrès de sa voix. Si bien que lorsque les critiques sont hostiles aux mises en scène de Katharina Wagner ou d’Uwe Eric Laufenberg, elles reconnaissent en même temps ces qualités de chanteur. Il accepte tout. Sa seule limite sera lorsqu’on lui demandera d’être nu sur scène.
Au-delà du rôle de Lohengrin, son Parsifal a parfaitement intégré les spécificités vocales propres à la tradition de Bayreuth. Ces spécificités existent, mais il n’aurait pas su le dire sans les approches concrètes des répétitions particulières durant le Festival. Il existe, pour les chanteurs, et plus particulièrement pour lui qui développe son évolution vocale à Bayreuth, un style propre au lieu. Mais les critiques qui lui sont adressées reflètent bien les mêmes questionnements qu’il exprimera dans ses interviews. Ce qui donne lieu à discussion, c’est sa voix de jungenlicher Heldentenor (jeune ténor héroïque), les plus critiques estimant que le caractère juvénile l’emporterait sur le caractère héroïque, ce qui nuirait à l’authenticité des rôles.
Ce fut particulièrement flagrant, selon eux, dans le Parsifal de Bayreuth 2016 (Production dans laquelle Uwe Eric Laufenberg expose, par sa mise en scène, qu’il faut être plus tourmenté par la question des réfugiés, les guerres actuelles au Moyen-Orient, qu’attentifs à des histoires autour du Saint Graal). Klaus Florian Vogt y incarnerait un Parsifal enfantin, à la voix apaisante et retenue, se voulant discrète, presque effacée, ne changeant guère entre le début et la fin, ce qui pourrait procurer une certaine frustration au regard de la mission que Parsifal est censé accomplir dans l’opéra. En même temps, il fait advenir toute la poésie du texte en ciselant chaque mot, chaque expression, incarnant un Parsifal tout autre. Opérant une sorte de renversement dans la conception lyrique : la figure de Parsifal se modèle sur la voix du chanteur et non plus la voix du chanteur tentant d’incarner l’héroïsme du personnage wagnérien.
On oppose Vogt et Kaufmann. L’un aurait une voix aussi claire que l’autre l’aurait sombre, et pourtant, la prestation de Jonas Kaufmann en Lohengrin à l’Opéra Bastille participe du même renversement. Il nous présente un Lohengrin pataugeant dans un marécage, pantalon à mi-mollets, pieds nus (on verrait mieux un petit canard en celluloïd l’accompagnant qu’un cygne majestueux) prostré, souffreteux, se tordant les bras, les mains tremblantes cachant le visage (Dernier acte). Dans ces conditions le ‘In fernem Land’, ne peut être abordé que ‘’par en dessous’’, très piano, avec beaucoup de fragilité. Tout le monde trouve cela sublime, et ce doit l’être, mais plus aucun héroïsme de Lohengrin n’est resté. C’est Kaufmann, mais ce n’est plus Lohengrin.
Se dessine une déformation très insidieuse dans l’opéra wagnérien qui consiste à ce que les chanteurs déplacent les rôles qu’ils sont censés servir vers une image plus conforme à l’idée que le public se fait de la proximité d’un personnage. Le héros est exceptionnel et donc lointain, comme hors d’atteinte, comme un modèle humain dont nous serions en quête. Or, ce que veut le plus grand nombre, c’est un proche immédiat si ce n’est un égal. Cette proximité sympathique, les vedettes actuelles du chant wagnérien y travaillent. Petit à petit, ils se font les complices des metteurs en scène soucieux de nous exposer ce qu’ils croient l’expression d’une critique radicale de la société moderne ou un sens plus pertinent et moins naïf, plus moderne, que celui voulu par l’artiste, sans oublier la bien-aimée transgression, (sans voir un instant que ce sont les constitutions établies et les œuvres conçues par les artistes de cette société qui sont garantes de la possibilité qu’ils ont à ‘’s’exprimer’’ {!}) , et en appellent à la complicité du public pour légitimer leurs approches.
Il faut dire que la tâche des metteurs en scène d’opéra n’est pas aisée. Ils sont appelés dans un contexte où chanteurs, musiciens, chef d’orchestre s’efforcent d’interpréter une partition musicale extraordinairement complexe et exigeante qui demande non seulement des dons mais également un travail acharné toujours sujet à être remis en cause. Quant à eux, ils n’ont à leur disposition que les didascalies assez sommaires indiquées par le musicien et un récit n’offrant, en apparence, que des situations et des traits humains limités en comparaison des pouvoirs de la littérature. Il faut donc que le metteur en scène donne l’impression, pour peu que son égo et sa prétention prévalent au détriment de la lettre et de l’esprit de l’œuvre, que sa démarche est aussi essentielle que celle du monde de la musique, que son engagement est aussi difficile que celui des chanteurs lyriques. D’où l’enfumage qu’ils nous proposent aujourd’hui. Notamment par l’accumulation d’objets voulus signifiants, par des décors surchargés de ‘’messages’’, de personnages silencieux accompagnant les protagonistes réels qui finissent par étouffer la dramaturgie initiale. L’effet en est d’autant plus saisissant que le tout est enveloppé dans un esthétisme secondé par d’habiles effets de lumières.
Le Diapason du mois de septembre 2016 nous fournit bien des éléments pour comprendre ce phénomène actuel de la mise en scène au travers de la confrontation serrée entre Piotr Kaminski et Christian Merlin. Ce dernier définit le terme de ‘’Regietheater’’» tel qu’il est né en Allemagne durant les quarante dernières années. Les constantes sont les suivantes : « l’expressionnisme criard dans le jeu des acteurs, le misérabilisme des décors, la tendance à commenter, voire réécrire les pièces, l’importance du message politique. » C’est parce que la fidélité à la lettre et à l’esprit d’un opéra est un leurre que Christian Merlin voit dans ces nouvelles perspectives l’inscription d’œuvres essoufflées dans une actualité régénératrice. Alors que Piotr Kaminski estime que cette distanciation peut éloigner bien des œuvres du passé de toutes leurs forces : « Pendant que les musiciens s’épuisent à étudier la Lettre afin de mieux saisir l’Esprit, le metteur en scène ‘’novateur’’ dit de trois choses l’une : 1. L’Esprit que je veux n’y est pas. 2. Il y est, mais je ne sais pas l’invoquer moyennant cette Lettre (aveu d’incompétence dont il pourrait au moins ne pas se glorifier). 3. Il y est, mais la lettre est mal fichue (c’est alors l’incompétence de l’auteur que dénonce leur interprète). Dans les trois cas, une seule solution, faire autre chose. »
Richard Wagner a écrit le rôle de Lohengrin pour un Heldentenor. «Il faut que l’on soit comme aveuglé quand on voit apparaître Lohengrin » dit-il. Dans l’analyse musicale et littéraire que Franz Liszt fait, en français, en 1851, de l’opéra il écrit : « On aperçoit tout d’un coup dans le lointain, sur les flots de l’Escault, un cygne conduisant une nacelle où se trouve un chevalier revêtu du costume qu’Elsa disait avoir vu en songe. Sur ce dernier motif, le chœur des assistants s’écrie : ‘’ Miracle! Merveille !… un chevalier arrive couvert d’une armure qui éblouit nos yeux!…c’est un envoyé de Dieu !… ‘’ A mesure que la nacelle approche, le chœur grandit, s’élève, monte, monte toujours, et atteint à un éclat d’un effet qu’il est impossible de ne pas ranger parmi les plus saisissantes que l’art de la musique ait jamais produits. » Au diable les rats et leur cintre.
« Si j’achète un ticket pour Le Vaisseau fantôme, je veux voir la mer, les vaisseaux, les marins et les rouets, pas un bureau rempli de secrétaires à leur machine à écrire. » dit Gwyneth Jones et Piotr Kaminski commente : « C’est Dame Gwyneth Jones qui a raison : Le Vaisseau fantôme EST une histoire de mer et de bateaux. Wagner s’est cassé les reins pour qu’on l’entende. Il y a mille façons de montrer sur scène une mer et un bateau. Voilà toute la différence entre l’art et la téléréalité. »
De même il existe encore mille façon de représenter Lohengrin autrement qu’en va-nu-pieds. Dans L’Avant-Scène Opéra consacré à Lohengrin, dans un article intitulé A la Colline Verte : de Wieland à Herzog, Antoine Livio rappelle combien fut bouleversante d’intelligence et de beauté la mise en scène de Wieland Wagner : « Une fois de plus, on retrouve l’espace scénique rond autour duquel s’élèvent des gradins, comme dans un amphithéâtre grec. Wieland Wagner situe l’histoire du chevalier au cygne le plus loin possible d’une actualité encore brûlante. Dans ces teintes bleu, argent et blanc, il meut dans un silence gestuel d’une lenteur toute mystique une action qu’il veut proche du miracle.’’ Les miracles ne peuvent être localisés, ce sont des évènements spirituels.’’ ».
Livio écrit dans le même article : « On connait sa définition : mettre en scène signifie interpréter. Or, avant d’interpréter , Wieland Wagner relie l’ouvrage, non dans le sens qu’on lui donne un peu trop facilement aujourd’hui, mais bien en prenant la partition – poème et musique – pour tenter d’être à l’écoute le plus fidèlement possible de son grand-père. »
Ce qui ne peut être admis, c’est de fourvoyer une œuvre d’art dans l’évidence de l’actualité évènementielle ou de bêtes considérations psychologiques ou sociologiques, et de ne pas y chercher l’infini du sens immémorial dont elle est porteuse. Etrange époque qui veut à toute force nous imposer l’idée que nous sommes dans l’erreur en voulant participer à l’avènement du merveilleux, qui prétend nous commander à penser l’urgence de l’actualité comme ce qu’il y a de plus élevé et de plus essentiel, qui veut nous faire croire que l’humanité ne serait qu’un troupeau de rats.
Michel Olivié, mars 2017 Annexe :
Durant le festival de Bayreuth de 2012, Klaus Florian Vogt accorda à un journaliste du Frankfurter Rundschau, Joachim Frank, une interview dont les questions eurent l’habileté (au-delà de quelques interrogations reflétant les lieux communs de la bien-pensance), d’approfondir la réflexion sur lui-même. La première question autour de Wagner est empreinte de l’atmosphère créée par Neuenfels : le journaliste lui demande ce qui se passe dans son esprit lorsqu’il chante des textes nationalistes, de chauvinisme teuton, comme : « Mais ô grand Roi, laisse-moi te prédire : à toi, le pur, est promise une grande victoire ! En Germanie –et même aux jours les plus lointains – les hordes de l’Orient ne triompheront plus jamais ! – Doch, Großer König, laß mich dir weissagen : Dir Reinem ist ein großer Sieg verliehn ! Nach Deutschland sollen noch in fernsten Tagen – des Ostens Horden siegreich nimmer ziehn! » ? Vogt fait la réponse suivante : « Je suis dans la situation qu’expriment les textes. Mais les ignorer comme tels n’est pas une chose difficile. » Joachim Frank : « Chantez-vous différemment selon les mises en scène ? » Vogt : L’expression est différente selon les productions. Mais les rôles de Wagner sont, Dieu merci, particulièrement diversifiés. A Bayreuth, dans Lohengrin, on peut aller loin dans l’émotionnel. Neuenfels nous y a très fortement encouragés. Cela va droit au but, c’est très attrayant, mais très difficile. J.F. : Il n’appartient pas aux chanteurs d’aller à l’encontre du metteur en scène ? K.L.V. : C’est directement reçu négativement. Qu’est-ce qu’un metteur en scène ? Pourtant il s’agit toujours de raconter une histoire au public et de l’emporter dans un autre monde. J.K. : Et si le public se sent kidnappé ? les charivaris à Bayreuth sont légendaires. K.L.V. : En dépister exactement les raisons est une évidence. Les gens veulent des peaux de bêtes ou une forêt sur la scène et sont déçus s’ils ne le voient pas. J.K. : Vous n’en êtes pas responsable en fin de compte. L’essentiel est que vous ayez fait votre travail. KFV : Je ne suis pas responsable de savoir si l’approche d’une mise en scène est pleinement efficace. Mais pour ma voix, il est important que je trouve mon chemin au travers d’une mise en scène. Le metteur en scène ne doit pas être un corset dans lequel je ne pourrais plus bouger. Et si je me rends compte que quelque chose n’a pas marché pour moi, je reprends le contrôle, et il y a un moyen d’en sortir ensemble, les yeux dans les yeux. J.K. : Vous avez dit que Bayreuth était agréable et sans prétention, mais n’y a -t-il pas quelque chose de vaniteux au travers de tous ces chichis ? K.L.V : Trouvez-vous que ce soit vraiment le cas ? je fais l’expérience d’un travail très coopératif, des solistes aux chœurs, des musiciens aux machinistes. Tous œuvrent ensemble, tout le monde participe. J.K. : Mais c’est votre point de vue depuis les coulisses. Je pensais plus à l’agitation dans le public, les célébrités, l’intention de se montrer des décideurs, la présence d’Angela Merkel, etc. K.F.V. : C’est vrai, mais ce contraste a son propre charme pour moi. Dans les coulisses, c’est terre à terre. Et cela crée une aura unique. C’est vraiment étrange. J.K. : Les jeunes chanteurs craignent souvent que leur voix soit prématurément brisée par des rôles lourds… K.F.V. Cela, je le sais aussi. Il appartient au chanteur de dire oui ou non aux propositions qui lui sont faites. C’est lui qui doit décider et non pas d’autres ou les circonstances. Il est le seul à être blâmé de son échec. Chanter est une profession très physique. Le corps joue un rôle important. Et il a besoin de pauses. Il faut des phases de régénération. Donc je suis conscient du danger et essaie d’être prudent. Je pourrais chanter Tristan ou Siegfried dans le futur, mais pas pour le moment. Pour l’instant, je ne peux que l’imaginer. Je ne veux pas être toute la nuit dans l’auto-défense. J.K. ( ?) Imaginez que vous êtes debout sur une scène de concert, et derrière vous l’orchestre en plein essor, à plein régime. Il ne faut alors pas risquer d’atteindre les limites physiques. Il faut savoir exactement ce qui se passe : je dois tenir deux actes, il me faut les contrôler. Si vous ne le faites pas, à la fin, vous rampez juste en face la ligne d’arriver. Ça ne doit pas se produire trop souvent. J.K. : Quand commence le Prélude de Lohengrin savez-vous comment vous serez ? K.F.V. : Malheureusement non. Ce serait bien. Vous ne savez jamais comment vous terminerez. Ici à Bayreuth, il faut six heures avant que Lohengrin soit terminé. L’enfer peut se produire. Il faut commencer par avoir Lohengrin dans sa conscience. J.K. : L’an dernier le public du Festival était extatique après votre Lohengrin. Quel genre de sentiment procure d’être si follement célébré ? K.F.V. : Cela est tout simplement indescriptible. Et je le considère comme mon salaire. Mon ambition est qu’une soirée d’opéra ne vaut que pour atteindre ce que je prévoyais scéniquement. Si je ne suis pas moi-même satisfait, les applaudissements ne me touchent pas beaucoup. C’est une consolation mais pas plus. Si je suis satisfait de moi-même, que les applaudissements témoignent de ce que j’ai atteint le public, c’est alors le plus grand bonheur. Cela me touche au cœur. J.K. : Est-il vrai que vous ne lisez-pas vous-même les critiques, ce sont votre agent ou votre femme qui les lisent ? K.F.V. : Oui parce que je veux tenir à distance des mots que je ne peux pas comprendre, ou qui sont contraires à mon jugement. Un collègue disait récemment : « Après la Première, vous êtes mal. », c’est vrai. Vous êtes à fleur de peau et vous êtes incroyablement vulnérable. Un seul adjectif peut vous atteindre : ‘’Qu’est-ce que cela voulait dire ?’’ ‘’Est-ce une façon de parler?’’ ‘’ N’ai-je pas été ceci ou cela?’’ Je suis extrêmement critique. Je remarque juste que je suis mieux quand je ne lis pas les comptes rendus. Donc, le mieux est que je reste à l’écart, surtout après les Premières. Si je lis les critiques avant de revenir sur scène, je ne peux pas y aller sereinement, comme je le voudrais. J.K. : C’est propre à l’opéra ? K.F.V. : Il n’y a aucune forme d’art qui touche l’âme de façon exhaustive. L’âme peut être touchée mais la distance du sens critique reste possible. Voilà ce que je veux atteindre. Voilà mon objectif. J.K. : Avez-vous des idoles artistiques? K.F.V : Naturellement, Fritz Wunderlich est tout simplement une idole. C’est un modèle. J.K. : Avec lequel vous avez été comparé. M. Vogt, jouant constamment des rôles wagnériens, ces jeunes hommes, cela a-t-il changé le chanteur ? K.F.V. : Dans la vie normale, vous devez vous en tenir éloigné, mais en même temps je veux être le personnage. Absolument. Voilà pourquoi je fais tout cela. J.K. : Vous aimez, mais vous soulignez la vulnérabilité de vos héros Ce concept de héros n’est-il pas un peu louche ? K.F.V. : Pour être un héros, un vrai héros, la possibilité d’échec doit toujours résonner. J.K. : Donc, vous êtes un héros, vous l’avez dit, on ne sait jamais comment se termine une soirée. K.F.V. : C’est vrai, néanmoins je ne me considèrerai jamais comme un héros. Lorsque les travailleurs de Fukushima vont dans la centrale nucléaire détruite, même s’ils savent qu’ils vont être contaminés, voilà ce qui est héroïque pour moi. Vous le faites parce que cela doit être fait.