Ce mois de mars est le mois de naissance de Martha Mödl, elle est née le 22 mars 1912 à Nuremberg. Elle est décédée le 17 décembre 2001. Ce temps qui lui a été accordé, elle l’a mis à profit pour devenir une chanteuse lyrique accomplie. Comme wagnérienne, elle a excellée dans les rôles de Brünnhilde, Isolde, Kundry. Pour la célébrer, il y a encore quelques années, nous nous serions contentés d’indiquer ce que la discographie, la presse, les souvenirs rapportés par les uns ou par les autres, aurait pu nous en dire. Il en va tout autrement aujourd’hui, Internet pourvoit à nos informations au-delà même de nos désirs. La difficulté consiste non plus à chercher ce que nous voudrions savoir — nous pouvons savoir à peu près tout de ce qui nous intéresse – mais à mettre en avant ce qui semble essentiel de ce qui peut rendre au plus près justice de l’exceptionnalité d’une personne telle que Martha Mödl.
Wikipédia nous permet de retracer sa longue carrière, elle chantait encore le rôle de la comtesse dans la Dame de Pique à 89 ans. Wieland Wagner la choisit, pour ses débuts de carrière, lors de la réouverture du Neue Bayreuth. Ce renouveau ne tenait pas tant aux interruptions forcées provoquées par la guerre, mais davantage au sentiment de jeunesse que l’on peut éprouver face au choix de l’ensemble des équipes dont s’entoura Wieland Wagner à ce moment là. A voir des photographies ou des films de cette époque, on sent l’enthousiasme qui emportait ceux qui avaient été choisis. On peut voir un Karl Böhm diriger une répétition en chemisette, avec des gestes d’une grande décontraction, une énergie enjouée, tournant les pages de la partition comme en passant. C’est l’été et l’on sent tout le monde heureux.
Martha Mödl était dans ses trente ans. En 1953, elle tenait le rôle de Brünnhilde, sous la direction de Keilberth, Wotan était chanté par Hans Hotter. On peut entendre, sur YouTube le début de l’Acte II de la Walkyrie. Au mur dur comme de la glace dressé par Hotter, Mödl surenchérit par un Walkürenruf – cri d’appel – aussi brûlant que Notung en fusion. L’orchestre de Keilberth, aux thèmes de l’Epée, de la fuite des jumeaux, de Hunding, du courroux à venir de Wotan, déchiquette à toute allure. Dans le monologue final du Crépuscule avec son exceptionnelle tessiture de soprano lyrique Martha Mödl fait entendre au moment du « Siefried, mein seliger Held », un changement de couleur qui donne le sentiment d’une harmonie enfin réalisée entre Brünnhilde et Siegfried, l’on peut appeler cela de la magie.
Bayreuth 1953, Keilberth, Mödl , Hotter, un des plus grands Ring jamais enregistré. Il a été édité chez Arkivmusic, actuellement épuisé, on le trouve quand même pour 295- 450 euros…
Au gré des sites, on découvre des articles d’hommage – en anglais ou en allemand pour la plupart—souvent très fins, usant de contrastes, d’indications précises, qui permettent de bâtir la personnalité de Martha Mödl. Elle était une chanteuse intelligente qui développait pleinement le potentiel dramatique de chaque rôle. Furtwangler disait d’elle : « Les autres chanteurs peuvent chanter ce qu’ils aiment, vous les reconnaitrez toujours. Avec Martha Mödl, sa voix s’identifiait si évidemment avec le rôle, que vous ne portez d’attention qu’au caractère du personnage » Il est particulièrement frappant d’entendre comment, dans le rôle de Kundry, elle métamorphose sa voix en un mezzo-soprano parfaitement adapté à la dimension inquiétante et indécise du rôle. Ses années d’or bayreuthiennes vont de 1951 à 1957, elle sut adapter sa carrière à la conscience qu’elle avait de l’évolution de sa voix.
De cette lucidité de son talent d’artiste, nous en avons un aperçu avec un film se voulant d’avant-garde, de 1997, ‘’ Poussières d’amour’’, du cinéaste allemand Werner Schoeter. Le cinéaste construit son film autour de la question que se posait Roland Barthes : « Comment les chanteurs font-ils pour trouver leurs émotions dans leur voix ? » Anita Cerquetti, Rita Gorr, Martha Mödl, se prêtent au jeu. Il y est question d’amour, de liberté, de voix, lors d’un séminaire à l’abbaye de Royaumont. Subitement, au détour d’un questionnement prétentieusement serré de la part du cinéaste,, Martha Mödl éclate de rire, se met à parler de fruits secs. Comment, dit-elle, pourrait-elle seulement enseigner le chant aux autres, alors qu’elle ne sait même pas elle-même comment elle s’y prend.
En 1986, Martha Mödl était l’invitée D’august Everding, dans sa série télévisée, Da Capo. Elle y retrace sa carrière, y parle de ses rôles (pas seulement wagnériens bien sûr) leur conversation est illustrée de nombreux extraits musicaux. A la fin de l’émission August Everding cite Wieland Wagner à propos de Martha Mödl : « Kundry, Brünnhilde, Isolde, (…) keine wie du »
La discographie est riche, mais je conseillerais en priorité ‘’The Queen of Drama in Opera ‘’ Editions Document, et Martha Mödl : Portrait Legend (Anniversary Edition) Profil.
Michel Olivié , mars 2015